dimanche 6 avril 2014

Petit guide de la résistance au froid, partie 2 : les plantes terrestres

Haha, bande de veinards ! Alors que l’Europe se réchauffe (enfin !) sous les rayons printaniers du soleil précoce, au Québec, c’est toujours l’hiver. Le vrai. Celui où les mots gèlent en sortant de la bouche. Et où tes sourcils restent figés lorsque tu fais la grimace, tellement ils sont plein de givre.
Bon, j’exagère… mais à peine. Pour preuve, une photo d’actualité :

Après la pluie, dans les Laurentides

Sophie vous a déjà parlé des mécanismes chez les animaux qui permettent de vivre par très basse température (voir ici). Mais la résistance à l’hiver s’observe aussi chez d’autres organismes qu’on trouve partout et qui, eux, ne peuvent pas se déplacer ou se rouler en boule pour échapper au froid ! Il s’agit des végétaux. Eh oui, vous vous imaginez, vous, passer six mois de l’année à des températures négatives, sans bouger une racine, et revivre au printemps comme si de rien n’était ? Ben voyons donc ! Et ça, tous les végétaux terrestres des milieux tempérés et nordiques (ou presque) sont capable de le faire : ils ont chacun leurs «  stratégies »  pour résister à l’hiver, c'est-à-dire, à survire à une période de froid intense accompagné de gel, et de continuer à vivre normalement après cette période.
Mais d’abord, pourquoi devrait-on résister à l’hiver ? C’est vrai ça, pourquoi les plantes ne continuent pas de pousser même par -30°C ? Après tout, elles sont là toute l’année, alors bon, quelques mois de plus ou de moins… Ah mais ça, c’était sans compter le problème du gel. Comme vous le savez certainement, en dessous de 0°C, l’eau gèle (oui bon, pas toujours), elle passe de l’état liquide à l’état solide. Or, les tissus des plantes terrestres sont très gorgés d’eau : entre l’eau nécessaire à la circulation des sèves, l’eau nécessaire aux réactions métaboliques comme la photosynthèse ou la respiration, les végétaux en sont pleins !  On considère que l’eau entre à 90% dans la composition d’une cellule végétale (Raven et al. 2013). Il est donc logique que si la température descend en dessous de zéro, ils vont geler parce qu’ils ne peuvent pas bouger…  Plus particulièrement, lorsque la température descend vers le point de congélation fatidique, on assiste à plusieurs phénomènes, (résumés par Beck et al. 2004) :

·      une augmentation de la viscosité membranaire (souvenez vous, une cellule vivante est délimitée par une membrane constituée d’une double couche de phospholipides, c'est-à-dire des lipides associés à des groupements phosphates), ce qui engendre une perturbation dans les transferts d’ions et autres molécules entre cellules. La viscosité est l’inverse de la fluidité : plus une membrane est fluide, plus les échanges entre le milieu intérieur et extérieur de la cellule sont rapides ; l’activité des protéines transmembranaires (c'est-à-dire les canaux régulateurs des flux au niveau de la membrane : comme au péage sur l’autoroute !)va être facilité par une plus grande fluidité. La fluidité membranaire influe sur tout un tas d’autres paramètres biologiques permettant la vie de la cellule.  Imaginez vous donc lorsque la membrane n’est plus fluide...

·     un métabolisme ralenti (forcément, si plus rien ne circule correctement, comment voulez vous que les informations/nutriments arrivent à l’heure et au bon endroit ?). De plus, certaines protéines essentielles à la bonne marche cellulaire (appelées les enzymes) possèdent un optimum de fonctionnement à une température bien déterminée : si cette température diminue, l’efficacité de ces protéines va diminuer aussi…

·     un décalage entre l’utilisation de l’énergie lumineux et le stockage de cette énergie (sous forme de sucres) : imaginez vous une centrale à vapeur dont on bouche la sortie, au bout d’un moment, si on chauffe toujours de la même manière, ça va péter… eh bien là c’est pareil : les photosystèmes (voir l’article sur l’automne ici) vont recevoir trop d’énergie et ne pourront pas la transférer aux molécules chargées de s’occuper de tout ce trop-plein (l’eau à moitié gelée empêche les réactions…)

Mais aussi, lorsque l’eau gèle, elle est source de stress hydrique pour les plantes. Attention, quand je parle de stress ici, ça ne concerne pas le stress de tout bon parisien qui se respecte à l’idée de rater son métro : en biologie, on parle de stress pour définir toute situation jugée négative pour le bon fonctionnement d’un organisme (par exemple, prédation, parasitisme, manque de nourriture, etc). Bref, lorsque l’eau gèle, elle n’est plus disponible pour les plantes en tant que ressource ! En clair, de l’eau gelée dans le sol, c’est comme pas d’eau du tout : la plante meurt de soif ! Et donc on observe les conséquences classiques du manque d’eau :

·      diminution du volume de protoplasme (= le milieu intracellulaire, pour faire simple) et formation de cristaux de glace à l’extérieur de la cellule (dans les parois rigides)
·         turgescence négative (la plante se « fane »)
·         concentration des solutés cellulaires : moins d’eau disponible mais la même quantité de molécules dans la cellule… un peu comme quand on laisse évaporer de l’eau de mer, on récupère le sel au final !
·         arrêt des processus métaboliques
·         changement de potentiel transmembranaire (phénomène très important chez les organismes, entre autre, cela permet la formation de l’influx nerveux chez les animaux). Le potentiel transmembranaire est la différence de charges électriques, présentes sous forme d’ions positifs et négatifs, de part d’autre de la membrane (dans et à l’extérieur de la cellule).
·         désintégration de la double couche phospholipidique membranaire

Autant dire qu’après tout ça, notre pauvre plante a bien du mal à fonctionner…  Mais alors, comment est-ce possible qu’à chaque printemps, les plantes retrouvent leurs belles couleurs vertes ? Voici les différentes méthodes, chez les plantes terrestres, pour continuer à exister même après un hiver rigoureux.

Stratégie d’évitement : je suis trop rapide pour le froid, je ne vois jamais l’hiver !

Certaines plantes ont ce que l’on appelle un cycle de vie annuel, c'est-à-dire qu’elles germent, se développent, grandissent, se reproduisent, engendrent des descendants et meurent en une seule année, sans jamais voir l’hiver. Les tomates (Solanum lycopersicon), par exemple, ou encore, les haricots verts (Phaseolus sp.), sont des espèces annuelles : on les sème et on les récolte au cours d’une seule année (si si, les tomates ne poussent pas en hiver, je vous assure, oui, même les tomates « bio » du supermarché). Une fois qu’elles ont donné des descendants, elles… meurent. Et les graines passent l’hiver dans le sol. Mais elles ne gèlent pas ? Non, car une graine est un organe de résistance hautement déshydraté et ne pourra germer que si la dormance est levée (voir cet autre article, décidément, on a réponse à tout sur ce blog).
Par voie de conséquence, les plantes annuelles n’ont donc aucun mécanisme de résistance contre le froid et le gel, tout simplement parce qu’elles ne le subissent pas directement.

Stratégie furtive : faites comme si je n’étais pas là !

Ça, c’est pour toutes les plantes qui se cachent sous terre pendant l’hiver. On a l’impression que la plante « meurt » mais en fait elle est juste enterrée bien tranquillement à l’abri du gel, et elle attend le redoux pour montrer le bout de son nez. Quelques exemples : les pommes de terre, mais aussi tous les « plantes à bulbes » ornementales : jacinthes, tulipes et autres crocus, ou encore des espèces bisannuelles comme la carotte. Il ne s’agit pas ici de graine, bien que les structures soient aussi en sommeil pendant l’hiver. Les plantes à bulbes vont avoir en général une saison de végétation au printemps, ce qui va leur permettre d’emmagasiner des réserves dans la partie souterraine (qui est une tige modifiée, voir l'article sur les monocotylédones) et d’avoir produit des fleurs et des graines avant l’arrivée de l’hiver. Pour les plantes bisannuelles comme les carottes, au cours de la première année de croissance, la plante emmagasine des réserves dans sa racine (c’est la grosse carotte orange qu’on retrouve dans nos assiettes). Lorsque l’hiver arrive, les parties aériennes meurent (c'est-à-dire les feuilles), ou tout du moins, deviennent très réduites, et la plante passe l’hiver bien tranquillement sous forme de racine dans le sol. Au printemps suivant, la plante utilise ses réserves présentes dans la racine pour donner des fleurs, qui produiront des graines… puis la plante finit par mourir lorsque l’hiver revient.

Organes souterrains de stockage chez les plantes [Source] (a) la carotte sauvage Daucus carota (b) bulbe d'oignon (c) bulbe de Crocus (d) rhizome d'Iris (e) racines tuberculeuses de Dahlia (f) tubercules de pomme de terre Solanum tuberosum

Stratégie de face-à-face : vas-y, l’hiver, même pas peur !

“Brace yourselves, winter is coming.”

On pourrait résumer l’adaptation des plantes au froid par cette petite phrase, tirée de la bien connue série Game of Thrones. En effet, un des mécanismes clés de la résistance des plantes au froid est la préparation à l’hiver. En particulier, une détection du raccourcissement des journées à l’aide des phytochromes (Beck et al 2007), mais aussi à l’aide de la détection de baisse de températures. Un phytochrome, qu’est ce que c’est ? Pour rester simple, disons que c’est une molécule organique complexe (voir là, sur le site du Missouri Botanical Garden) qui permet à la plante de détecter les variations dans l’intensité lumineuse, en termes de durée et de qualité. Ainsi, la plante va pouvoir détecter que les jours raccourcissent à la fin de l’été, par exemple.
Concernant la détection de baisse de températures, c’est une phytohormone (= une hormone végétale), l’acide abscissique abrégé en ABA, qui va induire de nombreuses réactions cellulaires.
Ainsi, Minami et al. (2004) ont montré le rôle prépondérant de l’ABA chez la mousse Physcomitrella patens. En plaçant des cellules de cette mousse en présence d’ABA à température ambiante, la résistance à une température négative suivant ce traitement était d’autant plus grande que les cellules étaient restées longtemps au contact de l’ABA. En clair, si on ajoute de l’ABA à température ambiante, la mousse passe en mode « esquimau » lorsqu’elle est contact du froid par la suite : elle supporte mieux le froid !

Physcomitrella patens [source]

Et donc, l’ABA va engendrer des modifications morphologiques à l’échelle de la cellule : grosse vacuole fragmentée en plus petites vacuoles (souvenez vous, la vacuole, c’est cette poche d’eau présente dans la cellule qui sert un peu à tout), épaississement de la paroi de la cellule… D’autres choses se passent à l’échelle moléculaire dans la cellule, pas forcément lié à l’action de l’ABA (d’après Beck et al. 2007):

·         changement dans la composition des lipides membranaires. Pour rappel, les membranes sont composées d’une double couche de lipides, plus ou moins mobiles et libres entre eux : avec le froid, il faut une membrane plus résistante !

·   atténuation de l’activité des photosystèmes (zones clés permettant à la plante d’utiliser l’énergie lumineuse), mais accroissement de la capacité à utiliser l’énergie lumineuse pour le transport cyclique des électrons et la phosphorylation (= réaction enzymatique impliquant la fixation d’un phosphate sur une molécule, afin d’augmenter son potentiel énergétique, entre autre… un peu comme charger une batterie de téléphone : il faut un apport d’énergie de l’extérieur pour qu’il puisse ensuite servir !). Autrement dit, le peu d’énergie reçu par la plante va être stocké un maximum sous forme de molécules organiques !

·    transition du métabolisme à base d’amidon vers un métabolisme dominé par les oligosaccharides, qui utilise les sucres simples (sucrose par exemple) comme cryoprotecteurs. En clair, en temps normal, la plante fait des réserves de sucres (qu’elle produit à l’aide de la photosynthèse) sous forme d’amidon (voir photo après). Sauf que cette organisation en loooongues chaines implique un risque de gel plus important. Du coup, la plante va stocker ses sucres, non plus en molécules complexes, mais en molécules simples, qui vont être mélangées à l’eau et empêcher celle-ci de geler.

Sucres simples comme le glucose ou le sucrose (en haut), sucres complexes comme l'amidon (en bas) [Source]

Toujours concernant les sucres, Minami et al. (2004) ont constaté que lors de la préparation à l’hiver, la quantité de sucres en solution dans les cellules augmente… mais pourquoi ? Eh bien le sucre agit comme un antigel. On sait en effet que plus une solution est concentrée en soluté, et plus on abaisse le point de congélation. C’est pour ça qu’on met du sel sur les routes : l’eau mélangée au sel a tendance à geler à plus basse température que 0°C. Et donc, dans notre cellule frigorifiée, les sucres en grandes quantités servent à protéger les protéines du gel – on rappelle que les protéines sont des structures très coûteuses en énergie, difficiles à mettre en place, et qu’il est important pour la plante de préserver.
A des niveaux plus aisément visibles, on observe que les plantes se préparent au froid par différents mécanismes : arrêt de croissance, sénescence des feuilles et parfois abscission (c'est-à-dire la séparation de la feuille et de la tige de manière naturelle et programmée – c’est le terme scientifique pour désigner la chute des feuilles - ces phénomènes sont surtout visibles chez les arbres) , formation des bourgeons et dormance. Ainsi, certains bourgeons spéciaux sont mis en place dès l’été : ce sont les seules structures qui resteront vivantes sur la plante pendant l’hiver, mais ces bourgeons seront en dormance. .
En particulier, lors du gel, des cristaux de glace peuvent se former dans les troncs des arbres (Parker 1963). Jusque là, pas de problème, car la sève ne circule pas en hiver : c’est au printemps, lors de la fonte des cristaux, que l’arbre va subir ce qu’on appelle la cavitation. La fonte des cristaux de glace va engendrer la formation de bulles d’air, qui vont bloquer la colonne d’eau formée entre les racines et le feuillage… c’est le principe des vases communicants : si la colonne d’eau est rompue, le transfert ne peut pas s’effectuer. Heureusement, des mécanismes de poussée racinaire et de traction foliaire assurent la mise en mouvement des bulles, voire la dissolution totale de celles-ci dans la sève.
Les bourgeons des arbres sont dormants pendant l’hiver, c'est-à-dire qu’ils n’ont quasiment plus d’activité de croissance. Ils ne peuvent recommencer leur croissance qu’après avoir subit un nombre prolongé de jours de gel et de froid : le retour des jours plus chauds après l’hiver permet la levée de dormance (j’ai déjà évoqué ce terme dans l’article sur les graines : c’est le même principe avec les bourgeons). Les bourgeons sont également protégés par des écailles pendant l’hiver : ces écailles vont tomber au printemps lorsque les bourgeons « explosent » : on parle de débourrage. C’est toute la difficulté pour l’arbre de ne pas redémarrer son activité juste au sortir de l’hiver, là où les jours sont doux mais où il peut encore geler. Si l’arbre n’a pas subit assez longtemps le froid à la fin de l’automne et au début de l’hiver, il est plus enclin à redémarrer précocement au sortir de l’hiver… et risque de geler en cas de chute brutale des températures. 

Et après ? Que faire lorsqu’on a subit six mois de gel intensif ?

Certaines plantes refusent d’attendre le dégel complet. Qu’à cela ne tienne, je vais faire fondre la neige qui me recouvre ! ben voyons donc, et la marmotte… enfin bref. Il s’avère qu’il existe bien certaines plantes qui pratiquent la thermogenèse. Kesako ? Comme son nom l’indique, c’est un processus de production de chaleur. C’est le cas du chou puant (de son nom scientifique Symplocarpus fœtidus), qui va faire fondre la neige qui l’entoure (Gibernau & Barabé, 2007) pour pointer sa fleur à la surface !

Symplocarpus foetidus au printemps [Source]

Pour faire simple, la chaleur est produite par la mitochondrie (autrement appelée centrale énergétique de la cellule : c’est là entre autre que se produit la respiration cellulaire). Et par la suite, la chaleur est dispersée dans l’environnement, à un tel niveau qu’elle fait fondre la neige aux alentours… Le chou puant peut ainsi faire augmenter sa propre température jusqu’à une trentaine de degrés ! En plus, la chaleur disperse l’odeur de charogne produite par la plante, ce qui attire les mouches, qui sont ses pollinisateurs attitrés.

Le mot de la fin

Fait que pour conclure, bah, les plantes, elles sont crissement bien adaptées au froid ! Mais ‘stie qu’y fait frette icitte, moi j’aimerai quand même retrouver un peu de printemps, j’ai pas autant de résistance au froid !!!

Bibliographie

Gibernau & Barabé. 2007. Des plantes à sang chaud. Pour la science, n°359 - septembre 2007. http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-des-fleurs-a-sang-chaud-19419.php 

Beck, Heim, Hansen. 2004. Plant resistance to cold stress: Mechanisms and environmental signals triggering frost hardening and dehardening. J. Biosci. 29(4), 449–459

Minami, Nagao, Arakawa, Fujikawa, Takezawa. 2006. Physiological and morphological alterations associated with development of freezing tolerance in the moss Physcomitrella patens. Cold hardiness in plants : molecular genetics, cell biology and physiology – ed. Chen et al. – p. 138

Beck, Fettig, Knake, Hartig, Bhattarai. 2007. Specific and unspecific responses of plants to cold and drought stress. J. Biosci. 32(3), 501-510

Parker. 1963. Cold Resistance in Woody Plants. Botanical Review. 29(2), pp. 123-201

Raven et al. 2013. Biology of plants. 8ème édition.

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