samedi 16 mars 2013

Les plantes ont-elles un cerveau ?

Thématique de la semaine au C@fé desSciences du 11 au 17 mars : cette fois ci, on parle du cerveau. Alors, me direz vous, qu’est ce que la botanique vient faire ici ? Après tout, le cerveau, c’est un truc de Métazoaires, non ?
Eh bien, pas si sur…

D’abord, il faut savoir que même si les plantes sont généralement fixées, elles ne sont pas dépourvues de capacité de mouvements, de manière plus ou moins spectaculaire. Tous ces mouvements sont la conséquence d’un ensemble de signaux qui traversent la plante, à l’instar des signaux transmis par les neurones chez les animaux.
Ainsi, quand on parle de mouvement chez les Végétaux, on a en tête par exemple les changements de position des plantes en pot en appartement qui semblent se diriger vers la lumière… comme si elles étaient attirées par elle. En réalité, la partie de la tige située du côté le plus sombre va subir une croissance plus rapide que la partie située à la lumière, ce qui aura pour conséquence une courbure de la plante vers la lumière. Pourquoi je vous parle de cela ? On n’était pas censé parler cerveau ? Attendez un peu… Si les plantes se comportent ainsi c’est qu’elles ont reçu un signal hormonal : à savoir celui provoqué par une petite molécule appelée auxine. L’auxine va être déportée vers le côté sombre de la plante et comme cette hormone enclenche des phénomènes de croissance, on observera une croissance différentielle de la tige et donc sa courbure.

D’autres mouvements plus spectaculaires ont lieu chez les plantes : c’est le cas chez les plantes carnivores du genre Dionaea dont le piège est capable de se refermer en 1/30ème de seconde sur l’insecte imprudent qui sera venu se poser dedans. Ce mouvement très rapide est dû à un courant ionique calcique qui se déclenche et a pour effet de changer l’acidité dans les cellules de la nervure centrale de la feuille (qui porte le piège). Ce changement provoque une fermeture du piège par différence de pression hydrostatique… et l’insecte est piégé ! (Barthlott et al. 2008)
Or, les courants ioniques sont à la base même des potentiels d’action présents dans les neurones des animaux et qui servent à transmettre l’influx nerveux. Chez les plantes, donc, on peut observer une analogie concernant la transmission quasi instantanée des signaux, bien que ce ne soient pas les mêmes mécanismes impliqués que dans le cerveau.

Une petite vidéo de la BBC One (en anglais), montrant la vitesse de fermeture des pièges chez la Dionaea.


Et ce n’est pas fini ! Les plantes sont donc capables de produire des signaux transmis rapidement à l’intérieur même de leur organisme, mais elles sont également capables de communiquer à distance avec d’autres plantes… et pas forcément des individus de la même espèce ! Ainsi, Heil et Karban (2009) expliquent que les plantes communiquent entre elles grâce à l’émission de COV (Composés Organiques Volatils) qui sont des molécules organiques complexes produites par les plantes lorsqu’elles sont blessées, sujettes à l’herbivorie et à la prédation. Dès que ces COV seront captés par d’autres plantes, pas encore agressées par les herbivores, les cellules de ces dernières vont produire des composés qui auront pour conséquence de rentre les feuilles non comestibles, voire carrément toxiques… tout ça alors que l’herbivore en question est encore loin.
Les plantes sont donc capables de communiquer entre elles à distance et surtout, elles sont capables de se comprendre et de réagir promptement à la menace de prédation.

Une dernière chose. Dans leur article de 2005, Baluska et al. observent un fonctionnement des cellules végétales similaire à celui des synapses des animaux : deux prolongements cellulaires, provenant de deux cellules différentes, qui échangent des molécules particulières : ce sont des molécules d’auxine, l’hormone dont j’ai parlé au début. Ces échanges rapides et à l’aide de vésicules (structures cellulaires permettant de libérer les auxines dans l’espace situé entre les deux prolongements cellulaires) ne sont pas sans rappeler le fonctionnement des synapses dans le cerveau. Ces signaux transmis par les auxines vont là encore permettre à la plante de réagir rapidement en cas de blessure, afin de « colmater la brèche » dans ses tissus par exemple.

Pour conclure, on peut dire que les communications complexes au sein d’un organisme ne sont pas l’apanage des animaux… et que même si les plantes ne possèdent pas de cerveau à proprement parler, elles n’en sont pas moins des êtres vivants capables de produire des signaux très rapides, améliorant leur propre survie !

Bibliographie

Barthlott W., Porembski S., Seine R., Theisen I., 2008, Plantes carnivores – biologie et culture. Editions Belin, Paris

Heil M. and Karban R. 2009. Explaining evolution of plant communication by airborne signals. Trends in Ecology and Evolution. Vol.25 No.3

Baluska F,Volkmann D and Menzel D. 2005. Plant synapses: actin-based domains for cell-to-cell communication. TRENDS in Plant Science Vol.10 No.3

mardi 12 mars 2013

Les réseaux neuronaux: le cerveau, une source d'inspiration





Cette semaine le café des sciences nous propose de parler du cerveau. Comme je vous ai récemment parlé de réseaux écologiques, j’ai décidé de rester dans la thématique des réseaux et de vous expliquer avec des mots simples ce que sont les réseaux neuronaux. Parce qu’en fait l’expression « réseau neuronal » est loin d’être explicite. Alors effectivement elle a des fondements biologiques en lien avec les neurones, mais en fait, ça n’a plus grand-chose à voir avec notre matière grise à proprement parler.


 Historiquement, les réseaux de neurones ont été mis en évidence par 4 chercheurs américains au cours des années 60. En 1968, ils publient « What the frog’s eye tells to the frog’s brain », un article qui décrit la structure neuronal chez la grenouille. Ils y expliquent aussi l’organisation du neurone et sa fonction au sein d’une structure complexe, les réseaux de neurones. A la suite de ces observations biologiques, les scientifiques ont schématisé un neurone en trois parties : les dendrites qui constituent les entrées de l’information créée par un stimulus, un corps où l’information est traitée, et l’axone qui représente la voie de sortie de l’information vers d’autres unités neuronales.

Représentation schématique d'un neurone formel


Ce schéma correspond à celle d’un neurone formel. A ce stade, on est tout juste à la jonction entre les réseaux neuronaux biologiques et les réseaux neuronaux mathématiques.
En effet, un neurone formel, c’est une représentation informatique et mathématique du neurone biologique. Un neurone formel, comme les neurones biologiques, ne traîne jamais seul. Les neurones formels sont regroupés en réseaux de neurones artificiels (voir la figure ci-dessous). Ces modèles mathématiques peuvent réaliser des fonctions complexes logiques ou arithmétiques comme en sont capables nos propres réseaux de neurones.  

Un réseau neuronal constitué d'enchaînements de neurones formels, branchés en parallèle. Et encore celui là est simple comparé à ceux qu'on peut trouver!
Alors vous allez me demandez pourquoi je vous ai dit un peu plus tôt que l’expression « réseaux neuronaux » n’était pas explicite ?

C’est parce que les réseaux neuronaux, au sens courant des scientifiques, sont un modèle de calcul qui sont à la fois utilisés comme applications statistiques et comme méthode d’intelligence artificielle (quoi de plus logique pour des neurones !).
Sans vouloir vous assommer avec des explications mathématiques bien trop complexes pour la biologiste que je suis, il est pourtant essentiel de préciser que l’élément révolutionnaire du modèle mathématique neuronal est l’apprentissage. C’est-à-dire que les paramètres du modèle vont s’adapter en fonction des différentes expériences auquel le modèle a à faire face au cours d’une application. En gros, le modèle mathématique va apprendre de ces expériences.

Trêve de maths ! Pour concrétiser un peu les choses voilà quelques applications possibles des réseaux neuronaux. Dans des domaines très variés, on peut les utiliser pour la classification automatique des codes postaux,  la prise de décision pour un achat boursier en fonction de l’évolution des cours, les paris pour les jeux de courses, le décodage de signaux de télédétection émis par les satellites, l’estimation de la valeur d’une entreprise, la modélisation de l’apprentissage et amélioration des techniques d’enseignement ou encore les prévisions météorologiques…
Concernant la biologie et l’écologie, les applications peuvent être aussi diversifiées :
- on peut utiliser les modèles de réseaux neuronaux pour connaître les doses de radioéléments à prescrire et le protocole d’administration au patient dans les traitements contre le cancer. Pour cela on utilisera les données sur des patients antérieurs de même morphologie et avec les mêmes caractéristiques vitales.
- pour prédire le comportement d’une espèce invasive à son introduction dans un milieu, on peut fournir au modèle de réseaux neuronaux les informations obtenues sur les cas précédents d’invasion par cette espèce, comme les paramètres d’extension de l’espèce (reproduction, survie, consommation…) et les caractéristiques du milieu d’accueil.
- les réseaux neuronaux pourront aussi permettre de connaître l’impact de la disparition d’une espèce au sein d’un habitat bien connu et décrit en termes de biodiversité, d’abondance d’espèces et de paramètres physico-chimiques.
- un exemple d’utilisation des réseaux neuronaux est la classification de taxon sur la base d’analyse ADN ou de caractères morphologiques.

Vu qu’on est justement sur un blog de biologie des organismes, je vais vous détailler un peu ce dernier exemple : Les  informations d’entrées dans le modèle de réseau neuronal doivent être numériques. C’est-à-dire qu’on va attribuer une valeur à tous les caractères comparés (morphologiques ou moléculaires) pour chaque taxon qui doit être classé. Le nombre de valeurs d’entrées n’est pas limitée, et plus il y en a, plus l’algorithme donnera un résultat robuste. Sur la base des similarités rencontrées entre chaque couple de taxon (duo, triplet, quadruplet….) le modèle statistique va être capable de produire en sortie, une classification unique dépendant des données d’entrée. En d’autres termes, ça veut dire que si on modifie une de ces données d’entrée ou alors qu’on apporte une information de plus, il réexaminera les relations entre les taxons pour confirmer ou invalider la classification précédemment proposée. La différence avec les autres méthodes de classification, c’est qu’elle garde en mémoire les relations entre tous les couples de taxon pour chaque caractère déjà exploré lorsqu’elle examine un nouveau caractère. Au final elle aura estimé toutes les relations inter-taxons pour chaque caractère et chaque interaction entre caractère. Cette méthode statistique permet également de savoir de quel taxon se rapproche le plus un organisme X sans nécessairement l’inclure dans la classification.

Je ne vous cache pas que les réseaux, et encore plus les réseaux neuronaux, c’est quelque chose d’assez ardu, mais ils ne sont qu’une pâle image de ce qu’on peut trouver dans la nature.

Pour les plus téméraires d’entre vous, voilà un article  sur MSDN Magasine, bien plus technique que le mien, et qui aborde les dessous maths/info des réseaux neuronaux.

Références:
- Lettvin, J.Y., Maturana, H.R., McCulloch, W.S., & Pitts, W.H. (1959) What the Frog's Eye Tells the Frog's Brain, Proceedings of the IRE, Vol. 47, No. 11, pp. 1940-51.




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