vendredi 25 mai 2012

La science accessible à tous.

La recherche scientifique a parfois la lourde peine de traîner des préjugés aussi lourds que des boulets qu’on vous aurait accrochés à la cheville sans moyen de vous en défaire (un peu comme les pirates qui jetaient les traîtres à la mer). Laissez-moi m’incarner, le temps que vous lisiez ces quelques lignes, en une véritable maîtresse des clés (j’ai hésité avec Passepartout, mais ça fait quand même moins sexy) qui volerait au secours de la science pour la libérer d’une noyade lente, terrible, pleine de souffrance.

They strapped me to a cannon, I ended up on the bottom of the ocean, the weight of the water crushing down on me.” William "Bootstrap Bill Turner, Pirates des Caraïbes.
Illustration de Tiago Hoisel [Source] // Les héros de la série The Big Bang Theory
Il n’y a que des vieux qui bossent dans la recherche, il faut avoir fait BAC+ trouze pour y bosser, ils sont grave ringards, ils n’ont pas de vie sociale, ils regardent leurs crottes de nez au microscope et puis d’abord, ça sert pas à grand-chose à part à laisser une bande de vieux croutons s’éclater entre eux sur des délires qu’eux seuls comprennent (et en plus, on les paye pour ça. Sans déconner, mais où va le monde ?!).
A vrai dire, c’est ce que j’aurais pu répondre avant d’avoir mis les pieds à la fac et c’est ce que pourraient répondre pas mal de gens que je connais. Mais pour de vrai, c’est trop pas ça (quoique pour certains je vous laisse le bénéfice du doute).

En fait je n’ai pas l’intention de vous parler de Science avec un grand S ou encore de la recherche de façon générale mais plutôt de vous parler d’un truc que je kiff grave de certains programmes qui permettent de contribuer à l’avancée de la recherche sur la question de la biodiversité* à notre échelle. Et pour ça, les seuls pré-requis demandés sont : la curiosité et le partage. (Et ouais, rien que ça !)

En fait, ça part du constat que pour connaître la biodiversité, il faut la zieuter assez régulièrement pour pouvoir en tirer des conclusions pertinentes et intéressantes. Mais sauf rares exceptions (stages, thèses, programmes financés, suivis par des associations), ce sont des données difficile à obtenir. Non pas parce que c’est difficile d’aller sur le terrain mais parce qu’on manque de moyens (manque d’argent et de personnel) et donc forcément, un manque de temps.

Pourtant, on a besoin de connaître l’évolution de la biodiversité, sa répartition dans le temps et dans l’espace afin de pouvoir la protéger ou encore la gérer. Ouais, on aime bien pouvoir tout gérer et tout contrôler… mais disons que c’est pour le bien de notre environnement (quoique ça dépend des fois…).

A côté de ce manque de temps et de moyens, un grand nombre de personnes s’adonne très régulièrement à des activités naturalistes (et non naturistes**). Il y a, bien entendu, les associations naturalistes qui proposent des sorties, mais il y a également ceux qui aiment se balader pour faire un peu de randonnée, ramasser les champignons, cueillir des fruits, ou que sais-je encore (Boriiiiiis, lâche ce palmier !). Des personnes qui aiment le contact avec la nature quoi (Boris, lâche-le de suite ou je compte jusqu’à trois !). Et forcément, les connaissances des uns et des autres sont très variées et peuvent aller d’un niveau de débutant à un niveau d’expert.


Photos prises ici et là
Les sciences participatives
C’est alors que se sont mises en place les sciences participatives (ou citoyennes) pour la biodiversité.
Ces sciences participatives ont pour vocation de faire participer tout ceux qui le souhaitent à des programmes naturalistes afin d’accroître nos connaissances en termes de biodiversité. C’est ainsi que professionnels et amateurs collaborent pour le bien de notre environnement. Les données ainsi récoltées sont transférées aux chercheurs qui pourront les traiter afin d’en extrapoler les informations puis les transmettre au grand public.

Et puisque ce genre de programme se développe depuis quelques années maintenant, il y en a pour tous les goûts et tous les niveaux !
Vous êtes amateur, vous n’y connaissez rien et pourtant vous aussi, vous voulez gambader les cheveux au vent pour regarder les fleurs et les papillons ? N’ayez crainte, j’ai ce qu’il faut pour vous : [Sauvages de ma rue, Vigie Flore, Observatoire des Papillons de Jardins].
Et vous, sombre créature de la nuit ! Votre passion est d’errer dans les maisons hantées les nuits de pleine lune, votre rêve le plus secret serait de devenir un vampire ? J’ai également ce qu’il faut pour vous : [Suivi des populations de chauves souris].
Et toi là bas ! Tu préfères bronzer sur la plage plutôt que courir après les oiseaux ?! Haha, et ben si ! J’ai un truc pour toi aussi (et tu vas (prendre la voix de Cristina Cordula) a-do-rer ma chérie) : [BioLit, CapOeRa].
Vous là bas, vous avez du mal à décrocher de votre téléphone plus de 3 minutes ? Idem, j’ai ce qu’il faut : [Missions Printemps avec l’appli smartphone du même nom].
Hep toi ! Celui qui a le pied dans le plâtre ! Et toi aussi tiens, qui à l’air de vouloir profiter du hamac dans ton jardin. J’ai également ce qu’il faut pour vous, vous n’aurez pas à aller très loin puisque votre jardin ou le trottoir devant chez vous suffisent ! [Observatoire des Papillons de Jardin, Observatoires des Escargots, Enquête Coléo, Sauvages de ma Rue]

BioLit
Calliostoma zizyphinum sur
des algues vertes (Ulva sp.)
Je vais vous présenter mon programme préféré pour vous en donner un rapide aperçu. Vous connaissez sans doute mon attrait incommensurable pour les bêbêtes de l’estran (la partie du littoral soumise à la marée), mais je vais devoir avouer ici, aux yeux de tous, ma fascination pour les algues*** ces êtres inférieurs qui tuent chevaux et sangliers.

Il s’agit du projet BioLit (lauréat 2012 du trophée mécénat délivré par le ministère !) mis en place par l’association Planète Mer.

L’objectif est de comprendre les relations qui unissent les grandes algues brunes et les mollusques qui vivent dans cet habitat.


Le littoral, comme les autres écosystèmes est constitué d’un ensemble d’interactions entre la faune, la flore et le substrat. En plus de la prédation, compétition, interactions durables (symbioses, parasitismes etc.) et toute autre forme d’interaction, les espèces sont soumises à la marée. Bon d’accord, ce n’est pas un scoop, mais vous êtes vous déjà mis dans la peau d’un bigorneau, d’un crabe, d’une anémone de mer ou d’une algue ?
Bigorneau (Littorea littorea)
avec vue de l'opercule
En fait, on va le faire ensemble. A partir de maintenant, on sera tous ensemble une bande de bigorneaux qui gambadent se baladent sur un rocher. La marée est haute, l’eau est à température idéale, on est protégé des UV, notre coquille nous protège de la plupart des potentiels prédateurs et nous pouvons brouter joyeusement des algues pendant que la marée redescend. A marée basse par contre, les oiseaux (et les pêcheurs à pied) peuvent nous cueillir facilement, il n’y a plus d’eau donc plus de protection contre les UV et il commence à faire chaud. Le soleil tape sur les rochers sombres ce qui augmente considérablement leur température (qui peut aller jusqu’à 50°C dans nos régions !), plus question de ramper dessus il y fait bien trop chaud ! Plusieurs moyens s’offrent à nous, chers bigorneaux, pour nous protéger de cet environnement devenu hostile : notre opercule qui nous permettra de nous garder à l’humidité et de limiter l’échauffement mais également notre mucus qui nous évitera de nous dessécher. Cependant, rester enfermé dans sa coquille pendant plusieurs heures n’est pas une partie de plaisir, et quelques fois ce n’est pas suffisant contre la dessiccation. C’est là que les macroalgues (se différencient des microalgues par leur taille : les macroalgues sont celles que l’on voit à la plage ou dans l’eau tandis que les microalgues sont celles que l’on ne peut voir qu’au microscope) interviennent puisqu’elles deviennent un véritable refuge contre le soleil, les prédateurs mais également le froid et la pluie. Cette situation ne concerne bien évidemment pas que les bigorneaux, mais toutes les espèces peu ou non mobiles ou encore les prédateurs qui s’y cachent pour tendre des pièges à leur proies. Les conditions sous l’eau et en dehors sont vraiment différentes, il faut pouvoir y survivre.
Les bigorneaux et tous les autres escargots du littoral sont d’un grand intérêt pour tout cet écosystème. Ils limitent la prolifération des algues en les broutant et sont source de nourriture pour bon nombre d’espèces d’oiseaux, de poissons, d’autres mollusques… Les algues elles aussi sont une source importante de nourriture et représentent également un abri considérable pour la faune (j’en reparlerai dans un autre article). D’où l’intérêt de les étudier. De plus, les algues brunes (il existe aussi les algues vertes et  les algues rouges) et les escargots ont l’avantage d’être tous deux présents en grande quantité et facilement reconnaissable pour un non spécialiste. Un programme fun et accessible à n’importe qui, donc à vous de jouer ! Et si vous n'êtes toujours pas convaincu, voyez la vidéo ci-dessous.






Je vous laisse découvrir les détails du projet ici ainsi que les fiches protocole : et .
Si vous n'êtes toujours pas rassasiés après tout ça, que vous voulez rencontrer des gens passionnés et passionnants pour vous faire découvrir les richesses de la diversité du littoral vous pouvez vous renseigner auprès de Planète mer, auprès de la super asso VivarmorNature, mais aussi auprès de IODDE et Nausicaa.

Littorina obtusata qui tente de se camoufler parmi les
flotteurs (poches d'airs qui font flotter les algues) de
l'algue brune Fucus vesiculosus

Vigie Nature
Evidemment, pour ceux qui n’habitent pas près de la mer ou qui n’y iront pas pendant les vacances, j’ai d'autres programmes à vous montrer, notamment ceux proposés par Vigie Nature.
Vigie nature est un énorme programme proposé par le MnHn (Muséum national d'Histoire naturelle) qui propose de suivre les populations de chauves-souris, d’oiseaux, d’escargots, d’amphibiens, d’insectes mais également de suivre les traces d’animaux dans la forêt ou encore les espèces végétales de nos jardins ! Je vous l’avais dit, il y en a pour tous les goûts ! Si ça vous intéresse et que vous voulez en savoir un peu plus, vous trouverez des informations sur leur site, et n’hésitez pas à les suivre via le blog qui a été lancé il y a quelques jours.


(c) Vigie Nature [Source] 


La nature ordinaire
Quel intérêt d'étudier les plantes
sur un trottoir ? [Source]
Mais en fait, pourquoi étudie-t-on les espèces « communes » ? Ça ne serait pas plus intéressant de se préoccuper des espèces en voie d’extinction ou des espèces rares ? Quid des espaces protégés, ne serait-il pas plus intéressant de suivre des espèces dans ces zones plutôt que sur un vulgaire trottoir de ville ?

Ben en fait, oui et non. C’est clair que c’est vachement plus glamour de dire « ce week end, j’ai étudié une orchidée sauvage dans une réserve biotique intégrale » plutôt que « ce week end, j’ai regardé des pissenlits sur le trottoir de la voisine »…
Le but premier des sciences participatives c’est la mobilisation du publique. Pour cela, il faut que les protocoles proposés soient facilement réalisables, qu’ils soient accessibles au plus de monde possible et pour ça, il a au moins deux moyens. Le premier c’est d’étudier des espèces connues du grand public (j’imagine que si je vous dis pissenlit, rouge-gorge ou renard, vous voyez tout de suite de quoi je parle) ou facilement reconnaissables. Le deuxième, c’est de pouvoir le faire près de chez soi, c’est quand même plus pratique que si vous devez parcourir 50km en voiture.

Vous avez peut être déjà entendu parler de l’expression « érosion de la biodiversité » du fait des changements globaux. Certaines espèces ce sont éteintes, certaines sont en voie de disparition, certaines tiennent encore le coup mais qui n’y arriveront bientôt plus… Afin de réduire cette crise, plusieurs types d’actions sont mises en place à diverses échelles (internationale à locale) dont la protection de certaines espèces et la création d’aires protégées (Natura 2000, réserves naturelles, parcs naturels régionaux etc.). Mais en terme de superficie sur un territoire, c’est la nature dite ordinaire qui est majoritaire (je crois me souvenir de quelque chose comme plus de 90%). Vous comprendrez donc l’importance de connaître la dynamique des espèces qui l’occupent. D’autant plus qu’on peut se servir de ces espèces communes comme fonction indicatrice puisque leur étude va nous permettre de comprendre comment la biodiversité réagit face aux changements globaux. Par exemple, le réseau STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) a pu mettre en évidence grâce aux données des participants que certaines espèces profitent du réchauffement climatique, tandis que d’autres ont beaucoup plus de mal à s’y faire.

La Linotte mélodieuse avec un déclin de -72% en 20 ans est un symbole de la perte de biodiversité ordinaire en milieu agricole. A l’inverse, le Pigeon ramier (+71% en 20 ans) est un généraliste qui profite des changements globaux[Source]

Pour finir, s’intéresser à des espèces moins exotiques permet de sensibiliser le grand public à la protection de la nature ordinaire. Au même titre que les koalas, les dauphins et les phoques, nos mésanges, nos algues et nos bigorneaux ont eux aussi le droit à un peu d’attention et d’affection ;)


(c) C. Feirrera



A bientôt sur le terrain !
Polychètement,
Aurélide. 









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* biodiversité : la biodiversité c’est la diversité d’espèces, de formes, de modes de vie, de gènes, en gros, c’est toute la diversité possible et imaginable formée par le vivant. [Retour au texte]
** naturaliste / naturiste : tandis qu’un naturaliste s’éclate à se balader dans la nature pour l’admirer, l’observer et la comprendre, le naturiste lui, s’éclate à se balader à poil (chez lui, dans son jardin, dans des campings spécialisés et autres). Cela dit, les deux ne sont pas incompatibles. [Retour au texte]
** algues : en vrai, le terme algue ne veut rien dire d’un point de vue évolutif (pour les pro’, et histoire de se la péter un peu pendant les soirées mondaines, on va plutôt dire « ça ne veut rien dire d’un point de vue phylogénétique » mais ça revient au même). Les « algues » (les guillemets sont là pour dire « je sais que le terme algue ne veut rien dire d’un point de vue évolutif, mais vu que c’est long à écrire je me contente de juste mettre les guillemets ») regroupent en fait des espèces qui n’ont rien à voir, c’est comme si on parlait de fournitures scolaires : un stylo n’a rien à voir avec une feuille ou une gomme. Leur seul point commun c’est qu’on les met dans un cartable. Ben là c’est pareil pour les algues (sauf que c’est un peu moins évident à s’en rendre compte, je l’admet), une algue brune n’a rien à voir avec une algue rouge qui n’a rien à voir avec une algue verte (ouais, j'm'éclate avec les couleurs) mais pourtant on les regroupe ensemble sur un critère écologique parce que c’est plus simple de dire « algue » que de dire « toutes les espèces photosynthétiques capables de vivre sous l’eau et sans tissu conducteur ». Encore une fois, pour les soirées mondaines, on dira que les algues sont polyphylétiques : leurs ressemblances n’ont pas été héritées du même ancêtre [ce n’est pas parce que Nico et Boris ont les cheveux foncés qu’ils ont les mêmes parents (ça parait plus logique dis comme ça hein ? :D)].
Si vous voulez d’autres mots de ce style pour vos soirées et réunions de familles, vous devrez en trouver dans nos articles. [Retour au texte]

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Si vous doutez toujours sur le fait que tous les scientifiques ne sont pas qu’une bande de vieux croûtons moisis, voyez à quoi ressemble un scientifique de nos jours : http://lookslikescience.tumblr.com/ [avouez que certains sont grave sexy ! (nan je ne donnerai pas de nom) (bon ok, vous avez raison, les plus sexy n’y sont pas, on ne voulait pas trop leur faire d’ombre en proposant nos photos, faut savoir faire preuve d’humilité parfois ;) )]
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Pour aller plus loin : Regards et débats sur la biodiversité - Biodiversité et science participative, de la recherche à la gestion des écosystèmes. 
Merci à C. Kerbiriou de m'avoir autorisé à utiliser quelques un de ses éléments de cours et à F. Jiguet pour sa disponibilité.

mardi 15 mai 2012

Quand diversité rime avec homogénéité : le cas des Monocotylédones

Salut à toi, chère lectrice, cher lecteur. Tu l’as certainement remarqué si tu regarde au moins une fois par jour par la fenêtre, c’est le printemps ! Et si tu as bien regardé, les plantes s’en donnent à cœur joie ! C’est à qui sortira la première la tête du sol et fleurira en premier pour attirer les insectes… Mais pas seulement les insectes ! Car dès que le printemps est là, les botanistes sont de sortie !
Aujourd’hui, donc, je m’en vais te présenter un grand groupe de plantes à fleurs : les Monocotylédones. Quoi qu’est-ce ? me diras-tu. Eh bien, sous ce nom un tantinet barbare se cachent de nombreuses plantes, dont voici un aperçu :

Un exemple de la diversité florale des Monocotylédones : Sabot de Vénus, Fleur de Bananier, Oiseau de Paradis, Perce Neige, Tradescantia, Tulipe
Ah, tout de suite, avec une image, c’est plus simple, on a une idée plus claire. Maintenant, laisse moi t’éclairer sur ce que sont vraiment les Monocotylédones… même si, tu t’en rendras bien vite compte, tu en connais plus que tu ne le pense sur ces plantes au nom étrange.

Voici comment je compte présenter ce groupe : cet article va certainement paraître un peu « catalogue », mais la diversité est grande dans ce groupe et je vais avoir du mal à faire un tri dans tout ce qui compose ce grand ensemble. Si vous souhaitez, vous pouvez donc parcourir l’article en fonction des illustrations qui le jalonnent et vous arrêter où vous souhaitez, pour lire un paragraphe sur un groupe en particulier (ils seront reconnaissables à la typographie particulière) ou bien tout lire dans son ensemble, paragraphe après paragraphe. Comme vous le sentez ! Dans l’ensemble, j’ai pris des exemples que vous connaissez tous mais pas forcément en détail. 

Les Monocotylédones sont un groupe de plantes situé au sein des Angiospermes : il s’agit d’un clade, encore appelé groupe monophylétique (pour ceux qui auraient oublié, cela correspond à un ensemble d’êtres vivants qui regroupe un ancêtre et tous ses descendants).

Un arbre des Angiospermes simplifié (voir aussi cet article sur ce même blog)

Parmi les Amborellales, on ne trouve qu’Amborella trichopoda  ; parmi les Nymphaeales, on trouve toutes les espèces proches de Nymphaea alba que l’on connaît aussi sous le nom de Nénuphar. Les Autrosbaileyales sont un ordre qui ne contient qu’une famille (les Austrobaileyaceae) qui ne contient elle-même qu’un genre et qu’une espèce : Austrobaileya scandens. Les Magnollids quant à eux regroupent plus de plantes, entre autre les espèces du genre Magnolia (comme ici, Magnolia grandiflora ) ou encore les espèces de l’ordre de Piperales, qui regroupent les différents poivres consommés dans nos assiettes. Nous avons également les Monocots, appelés Monocotylédones en français – nous en reparlerons plus tard – et les Eudicots, appelés Eudicotylédones en français, qui sont un groupe très largement représenté à la surface de la Terre ; vous avez ici un exemple d’Eudicots : Bellis perennis appelée aussi Pâquerette.

Mais revenons à nos Monocotylédones. D’après l’arbre ci-dessus, il ne s’agit que d’un groupe de plantes à fleurs parmi tant d’autres… et pourtant, je vais vous montrer plus en détail qu’il s’agit d’un groupe extrêmement diversifié, dans lequel les phyllum sont nombreux et possèdent chacun leurs spécificités.

Arbre phylogénétique des Monocotylédones, d'après Chase et. al 2009
D’après l’arbre ci-dessus, les Monocotylédones présentent un grand nombre d’ordres : je vais faire de mon mieux pour vous présenter, par la suite, ceux qui me semblent les plus intéressants.

Nous avons donc vu que les Monocotylédones étaient un clade à part entière, inclus dans le grand arbre des plantes à fleurs. Maintenant, je vais te présenter quelques caractères propres (=synapomorphies) aux Monocotylédones.
Avant toute chose, je vais utiliser des termes morpho-anatomiques décrit précédemment dans cet article.
De manière générale, les Monocotylédones possèdent des fleurs trimères, c'est-à-dire que le nombre de pièces florales au sein d’un verticille (rappelons que l’on trouve la plupart du temps 4 verticilles au sein d’une fleur : les sépales, les pétales, les étamines, le pistil) est un multiple de 3 ; par exemple, prenons la Tulipe :

Une tulipe (vue générale, vue rapprochée)
On y trouve 6 tépales (équivalent des sépales et pétales non différenciables entre eux), 6 étamines et 3 carpelles constituant le pistil. Nous avons bien ici des multiples de 3 uniquement. Je vous ai peut être un peu perdu… voilà de quoi bien fixer les idées :

Schéma d'une coupe de fleur de Monocotylédone "typique"
Mais attention, la présence d’une fleur trimère n’en fait pas une synapomorphie ; en effet, les chercheurs se sont aperçu que ce caractère souvent retrouvé chez les Monocotylédones était en réalité un caractère ancestral : il s’agit donc ici d’une symplésiomorphie, c'est-à-dire d’un caractère ancestral partagé par l’ensemble des Monocotylédones. (d’après Simpson, 2010) Par exemple, Amborella trichopoda, précédemment citée dans le premier arbre phylogénétique dans cet article, peut tout à fait posséder 6 tépales… et pourtant, ce n’est pas une Monocotylédone ! Cette trimérie est donc bien une symplésiomorphie.
Une des synapomorphies (cette fois ci, c’en est vraiment une !) de ce groupe est la présence d’un seul cotylédon (d’où le nom : « mono » – un – « cotylédone » – cotylédon). Rappelons que les cotylédons sont les premières feuilles à sortir de la graine lors de la germination. Ce sont aussi des organes de réserves nutritives disponibles pour l’embryon présent dans la graine (chez certaines espèces uniquement).
Les Monocotylédones possèdent également des feuilles à nervures dites parallèles (voir photo suivante) : ce caractère est une autre synapomorphie du groupe.

Parmi d’autres synapomorphies intéressantes, citons également l’absence de croissance secondaire chez tous les Monocotylédones : ces plantes ne fabriquent pas de bois et n’ont pas d’accroissement en largeur (mais seulement en hauteur). Je discuterai de ce point plus tard. Ajoutons à cela que les vaisseaux conducteurs des sèves des Monocotylédones ont une disposition particulière : on parle d’atactostèle  par opposition à la disposition que l’on trouve chez d’autres plantes que les Monocotylédones, telles que les Eudicotylédones :


A gauche, une actatostèle (typique des Monocotylédones), à droite, une stèle typique des Eudicotylédones
A présent, je vais présenter quelques familles emblématiques des Monocotylédones ; tu verras qu’en fin de compte, tu les connais bien, ces plantes là !
[Retour au plan]
Les Alismatales (ça existe ça ?)

Parmi les Alismatales (voir arbre phylogénétique plus haut) se trouve la famille des Araceae. Kesako ? me direz vous. Eh bien, dans cette famille, on trouve bon nombre de plantes bien connues présentes dans toutes nos jardineries ! Entre autre, les Phylodendrons, qui sont des lianes tropicales, mais on en trouve aussi sous nos latitudes, comme par exemple l’Arum Tacheté Arum maculatum… ou encore les Lentilles d’eau ! Si si parfaitement !
Les plantes de cette famille possèdent une synapomorphie facilement identifiable (sauf chez les Lentilles d’eau) : il s’agit de l’inflorescence, très particulière, composée d’un spadice entouré d’une spathe. Mais encore ? me diras tu… de quoi s’agit il ? Avec un dessin, c’est toujours mieux.
Dessin de l'inflorescence d'un Arum
Chez l’Arum Tacheté, largement réparti en milieu tempéré, la pollinisation est assez peu conventionnelle : la présence d’une spathe et d’un spadice permet un fonctionnement très spécial. En effet, cette plante est pollinisée par de petits moucherons. Elle attire ces insectes en produisant, au niveau de l’inflorescence, une odeur de charogne en décomposition ; elle produit aussi de la chaleur, ce qui renforce l’impression, pour l’insecte, qu’il s’agit d’un animal mort à consommer (Bournérias & Bock, 2006). L’insecte entre dans la spathe, descend au fond de l’inflorescence en espérant trouver à manger. Au passage, il se frotte aux étamines et récupère involontairement du pollen sur son corps. Une fois arrivé au fond de l’inflorescence, il ne peut plus remonter car il est bloqué par des fibres rigides… Est la fin ? me direz vous. Mais pas du tout ! Il faut attendre quelques temps que l’inflorescence arrive à maturité : à ce moment, les fibres se ramollissent, ce qui permet un passage de l’insecte, qui s’envole vers d’autres cieux fleurs d’Arum, qui elles ne sont pas encore matures et produisent une odeur de charogne. Les moucherons rentrent alors dans cette nouvelle inflorescence, chargés de pollen ; ils se dirigent une nouvelle fois vers le fond et… au passage déposent du pollen sur les stigmates, situés au fond de l’inflorescence ! Il y a donc eu un transport de pollen d’une plante à une autre, ce qui permettra une fécondation croisée et réduira le risque de « consanguinité » chez ces plantes.

A gauche, une feuille d'Arum maculatum, au centre une inflorescence d'Arum maculatum, à droite une coupe dans la spathe d'Arum maculatum, permettant de voir les moucherons piégés dans l'inflorescence
Un autre caractère particulier de cette famille est que, contrairement à ce que j’ai dit au début, les feuilles de certaines espèces présentent une nervation qui n’est pas parallèle mais réticulée (c'est-à-dire en réseau) : il ne faut donc pas se fier aux apparences premières et bien étudier tous les caractères d’une plante avant de proposer une identification correcte ! par exemple en regardant plus précisément l’organisation interne de la tige (actatostèle ou non, voir plus haut) ; c’est grâce à ce genre de caractères que l’on peut savoir dans quel groupe se situe la plante étudiée.


Les Pandanales (un jeu de mot mal placé ?)

Parlons à présent d’un autre ordre (voir arbre phylogénétique plus haut) : les Pandanales. Et en particulier, une famille de plante qui se trouve dans cet ordre, les Pandanaceae. Cette famille contient le genre Pandanus, qui est économiquement un genre très important dans les îles du Pacifique. En effet, ces plantes sont utilisées dans la construction d’habitations, mais aussi en tant que nourriture (les fruits sont consommés).
Une particularité des plantes de ce genre est qu’elles possèdent une croissance sympodiale. Mais encore, me direz-vous ? Eh bien c’est le contraire de la croissance monopodiale. Oui, bon, ça ne nous aide pas non plus…
Schéma d'une plante à croissance monopodiale (en haut) et d'une plante à croissance sympodiale (en bas). Les ronds noirs sont les bourgeons qui ont une croissance limitée dans le temps.
Dans le cas d’une croissance monopodiale, l’ensemble de la plante est initié, fabriqué, par un seul et même bourgeon terminal, appelé méristème apical caulinaire. C’est le même bourgeon tout au long de la vie de la plante. C’est comme ça que se construit une très grande majorité de Monocotylédones. Mais dans le cas des Pandanus, la croissance est sympodiale, c'est-à-dire que la plante est d’abord initiée par un méristème apical caulinaire - appelé aussi bourgeon terminal-  qui fini par mourir. La croissance est alors reprise par des méristèmes axillaires - des bourgeons situés à l’aisselle des feuilles, qui ne se développent que lorsque le bourgeon terminal meurt - qui se succèdent dans le temps car ils cessent de fonctionner au bout d’un moment. La conséquence de ce type de croissance est un port avec beaucoup de ramifications (généralement dichotomiques, c'est-à-dire ramifiées en forme de Y).

Les Liliales (un ordre royal !)

Nous avons vu une particularité des Pandanales – à savoir la croissance dichotomique – et maintenant, nous allons nous concentrer sur un autre ordre, celui des Liliales. Suite à la dernière classification APG III (oui souvenez vous, c’est le nouveau système de classification des plantes à fleurs, qui prend en compte les relations évolutives entre les différentes familles de plantes ; voir aussi cet article ), le groupe des Liliales, qui regroupait auparavant de nombreuses familles de Monocotylédones, a explosé, c'est-à-dire que les familles auparavant « rangées » dans le groupe des Liliales se sont retrouvées « rangées » dans d’autres groupes. Depuis, il ne reste que 10 familles présentes dans ce groupe. Je vais ici présenter la famille des Liliaceae que beaucoup d’entre vous connaissent, j’en suis sûr. En effet, dans cette famille se trouvent toutes les plantes du genre Lilium c'est-à-dire… le Lys, symbole des royautés ! mais aussi d’autres plantes telles que les Tulipes (dont nous avons déjà parlé plus haut).

En voilà une belle fleur de Lys !
Ces plantes possèdent des fleurs typiques de Monocotylédones : 6 tépales (sur deux rangées), 6 étamines (sur 2 rangées également) et un gynécée composé de 3 carpelles soudés supères. C'est-à-dire que la partie femelle de la fleur est constituée de 3 carpelles (là où sont enfermés les ovules) qui sont soudés entre eux, et situés au dessus de l’insertion des tépales sur le pédoncule. Comme vous le voyez, la trimérie (c'est-à-dire une fleur en base 3) est évidente.


Les Asparagales (elles sont belles mes asperges, on en profite !)

A présent, je vais vous parler des Asparagales. Tiens c’est bizarre, ce nom me rappelle celui des Asperges… C’est bien normal ! Les Asperges se situent dans la famille des Asparagaceae, elle-même dans l’ordre des Asparagales. Mais d’autres plantes se situent dans cet ordre ; je suis sûr que vous en connaissez un grand nombre. Voyez par vous-même…

Une Orchidaceae, une Iridaceae, une Alliaceae
Je suis certain que vous connaissez les Orchidées… ou encore appelées Orchidaceae. Sachez qu’il s’agit d’une des familles de plantes où l’on retrouve le plus d’espèces. Environ 27000, d’après ce site , réparties dans 925 genres. Mais le plus impressionnant, c’est que les fleurs de ces plantes sont toutes ou presque construites sur le même plan d’organisation. En effet, lorsqu’on voit une fleur d’Orchidée, on sait immédiatement que c’en est une. Pourquoi ? Eh bien tout d’abord, elle présente une symétrie bilatérale, c'est-à-dire qu’elle n’a qu’un seul plan de symétrie. On appelle ça une fleur zygomorphe.

Un Geranium (Geraniaceae) possède une symétrie radiale, appelée aussi actinomorphie, tandis qu'un Paphiopediulm (Orchidaceae) possède une symétrie bilatérale, appelée aussi zygomorphie.
Ensuite, elle possède bien 6 tépales… dont un est transformé ! Il s’appelle le labelle et sert en quelque sorte de « piste d’atterrissage » pour les insectes qui viennent polliniser la fleur. Si les 5 autres tépales se ressemblent tous un peu entre eux, le labelle quant à lui peut prendre des formes, des tailles et des couleurs extrêmement variées. Voyez par exemple ces deux Orchidées et leurs labelles si différents !
A gauche, Ophrys Abeille, à droite, Orchidée Vampire. Il s'agit de la même famille, et pourtant la morphologie est très différente...
Bon, je ne vais pas m’étendre sur le sujet plus longtemps, je pourrais y passer des heures… Peut être cette thématique fera t elle l’objet d’un prochain article plus détaillé sur cette grande famille, qui sait ?

Parmi les Asparagales, on trouve également les Iridaceae. Cette famille est représentée dans nos jardins par un grand nombre d’hybrides mais on peut aussi trouver d’autres espèces sauvages, tel que l’Iris des Marais Iris pseudoacorus.

Une fleur d'Iris pseudoacorus, avec en arrière plan à gauche les feuilles correspondantes
Une des particularités de ces fleurs, c’est la présence d’un style pétaloïde : le style (la structure qui porte le stigmate, là où se dépose le pollen) a la forme d’un pétale, d’où le nom. Là encore, on remarque que la fleur est typique d’une Monocotylédone (en base 3). De plus, la croissance de ces plantes s’effectue à l’aide d’un rhizome, c'est-à-dire une tige à croissance agéotropique (plus simplement, à croissance horizontale)… Eh oui, un rhizome est bien une tige, et non pas une racine, comme on le pense souvent. Il suffit pour cela de faire une étude de l’anatomie interne et on s’en rend compte immédiatement (mais je ne vais pas le faire ici, c’est trop long). Les feuilles sont également facilement reconnaissables : elles ont une forme effilée avec un bout pointu, typique des Iridaceae.

Au sein des Arsparagales, on trouve aussi la famille des Alliaceae. Elle regroupe toutes les plantes du genre Allium, c'est-à-dire les Aulx (ou Ail au pluriel !) qui sont beaucoup utilisés dans la cuisine européenne. Entre autre, le Poireau, dont le nom scientifique est Allium porrum ! ou bien encore l’Oignon Allium cepa.

Allium cepa, inflorescence et bulbe

En règle générale, la tige des plantes de cette famille est très réduite. Elle est tellement condensée qu’elle n’est pas visible ! Mais alors, comment la plante fait elle pour grandir si elle n’a pas de tige ? Petite explication : comme vous le savez certainement, les plantes à fleurs sont toutes construites sur le même modèle, à savoir que l’élément morphologique de base est le phytomère (voir schéma suivant) autrement dit un ensemble formé par un nœud, où se situent la feuille, la bractée (qui est une sorte de petite feuille) et le bourgeon, et un entre nœud, qui correspond à la tige.

Schéma d'un phytomère, donnée originale
Chez l’Oignon, par exemple, ce qu’on appelle le bulbe, c’est en réalité l’ensemble formé par une tige souterraine condensée et des feuilles non photosynthétiques gorgées de réserves, très charnues : les entre nœud (=la tige) sont tellement raccourcis que les nœuds s’empilent les uns sur les autres !

Photo d'une coupe longitudinale d'Oignon. 1 : écailles charnues, ou feuilles de réserve ; 2 : bourgeon ; 3 : écailles sèches ; 4 : plateau = tige réduite ; 5 : racines adventives ; 6 : restes des feuilles de l'année précédente
Lorsqu’on ouvre un oignon et qu’on le découpe pour l’utiliser en cuisine, ce qu’on met dans la poêle, ce sont en réalité des feuilles charnues, non photosynthétiques, qui servent à stocker des réserves pour le fonctionnement de la plante.



Les Commelinids (où nains et géants se côtoient...)

A présent, passons à un autre groupe de plantes : les Commelinids. Vous connaissez très bien certaines plantes de ce clade… si si je vous assure ! Vous allez voir ça tout de suite.

Dans ce groupe se trouve les Arecales, un ordre comportant une famille unique, celle des Arecaceae… encore appelée famille des Palmiers ! Ah, tout de suite, on voit à quoi ça correspond. Sachez en tout cas qu’une des synapomorphies de cette famille est la présence d’une structure appelée stipe, qui permet dans la majeure partie des cas un port arborescent. Attention cependant, bien que les Palmiers puissent atteindre jusqu’à 30 m de haut, ils de produisent pas de bois ! Comment ça, pas de bois ? Mais oui ! En effet, le bois est un tissu végétal issu de la croissance secondaire (autrement dit, une croissance en épaisseur, initiée par un tissus spécifique appelé le cambium, et qui donne des structures concentriques : les cernes)… et chez les Monocotylédones, il n’y a pas de croissance secondaire ! Pour en être certain, comparons une coupe de tronc d’arbre et de stipe de palmier :
A gauche, un schéma d'une coupe transversale de stipe de Palmier, à droite, un schéma d'une coupe transversale d'un tronc de Dicotylédone. Voir aussi ici et .
Comme on peut le voir chez le Palmier, les faisceaux conducteurs de sève sont répartis dans la « chair » centrale de la plante tandis que dans le tronc d’un arbre, le bois est constitué de successions de vaisseaux conducteurs, mis en place année après année (au passage, c’est ce phénomène d’accumulation qui engendre la formation des cernes du bois… qui permettent de donner l’âge d’un arbre !).

D’autres plantes bien connues du grand public se trouve au sein des Commelinids, comme par exemple celles situées dans l’ordre des Zingiberales, dans la famille des Musaceae… qui est la famille de la banane ! Là encore, bien que les bananiers se développent en plantes de plusieurs mètres de hauteur, ils ne fabriquent pas de bois… ni de stipe ! Comme une grande majorité des Monocotylédones, ces plantes sont constituées d’éléments successifs emboités les uns dans les autres ; seulement ici, les gaines des feuilles sont persistantes et permettent l’élaboration d’un « tronc » qui contribue à porter en hauteur les nombreuses feuilles. Attention, ce n’est pas un vrai tronc, car il n’y a ni croissance secondaire, ni tissus ligneux (=tissus comportant une molécule appelée lignine, responsable de la rigidité du bois) ! J’utilise ce terme uniquement pour vous donner un point de comparaison.
Ce sont des plantes dites hapaxantiques, c'est-à-dire qui meurent après avoir effectué leur seule et unique floraison, qui peut avoir lieu plusieurs années après la germination de la plante. Après floraison, elles produisent des fruits bien connus dont j’ai déjà parlé plus tôt : il s’agit des bananes. Mais… c’est bizarre ça, quand on mange une banane, on ne trouve pas de graines ! Comment cela est il possible ? Eh bien, les bananes que l’on trouve dans nos supermarchés sont produites par des arbres sélectionnés exprès : ils possèdent un génome triploïde et n’engendrent que des fruits sans graines ! Mais à l’état sauvage, les bananes possèdent bien des graines !

En haut, une coupe dans une banane sauvage... on distingue toutes les graines ! à droite, une coupe dans une banane cultivée, sans graines
Notre promenade parmi les Monocotylédones va bientôt se terminer. Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin ! Je vais à présent vous dévoiler l’existence d’une famille très commune, mais qui se retrouve dans toutes les parties du globe il s’agit de la famille des Poaceae (située dans l’ordre des Poales) anciennement appelée famille des Gramineae. Elle comporte environ 668 genres et 9500 espèces ! Elles doivent leur capacité de colonisation de tous les milieux en particulier à leur système de multiplication végétative sous forme de rhizomes ou de stolons ; elles restent ainsi facilement ancrées dans le sol et supportent le piétinement, l’arrachage ou l’herbivorie car elles peuvent malgré toutes ces contraintes reformer leur appareil végétatif aérien (=toute la partie aérienne dévouée à la photosynthèse et non à la production de fleurs et de graines)  lorsque la perturbation est passée. Vous voyez de qui je veux parler ? Non ? De l’herbe en général. Eh oui, ce que l’on nomme « le gazon », « les mauvaises herbes », « le chiendent », « le foin » et encore plein d’autres… ce sont des Poaceae !

A gauche, Arrhenatherum elatius, une Poaceae très commune des bords de chemin, à droite, Elytrigia sp.
Les Poaceae produisent des fleurs très modifiées, dont le périanthe (c'est-à-dire l’ensemble formé par les sépales et les pétales) est très différent de tout ce qu’on a pu voir jusqu’à maintenant. Avec un schéma, c’est plus simple.

Schéma d'une fleur de Poaceae typique. Comme on peut le voir, le périanthe est extrêmement réduit alors que les pièces fertiles (androcée et gynécée) sont hyper développées. 
Ici, les fleurs sont regroupées en inflorescences appelées épillets… eux même généralement regroupés en épis. Ainsi, la plante peut produire un nombre de graines très importantes dans un petit espace. Mais pourquoi faire des fleurs si petites ? Pourquoi avoir un périanthe si réduit et si pauvre en couleur, me direz vous ? En réalité, si les fleurs sont si petites, c’est certainement parce qu’elles sont pollinisées par le vent (on parle alors d’anémogamie) et non par les insectes : la présence d’une grande corolle colorée n’a pas lieu d’être lorsqu’il suffit que les étamines s’ouvrent et libèrent leur pollen pour assurer la pollinisation !
Mis à part l’herbe, vous connaissez beaucoup de Poaceae : le blé (Triticum aestivum), le maïs (Zea mays), le riz (Oryza sativa) qui sont les trois céréales majoritairement consommées dans le monde et à base de l’alimentation de milliards de personnes ! Comme quoi, on en mange tous les jours, mais on ne sait pas forcément à quoi ça correspond…


Ouf ! Cet article se termine. J’avoue que je t’ai peut être embrouillé quelque peu, chère lecteur, chère lectrice, mais le sujet me semble si passionnant que j’ai dû me restreindre pour n’en tirer que les informations qui m’ont parues dignes d’intérêt.
Nous avons donc vu que dans ce grand ensemble qu’est le clade des Monocotylédones, on trouve beaucoup de variations entre les groupes… mais qu’on retrouve également plein de choses communes, et qu’il n’y a qu’un petit monde entre la petite pousse d’herbe entre les fissures des trottoirs de Paris et les Palmiers de Nouvelle Calédonie !

Bibliographie :

La majorité des informations présentes dans cet article proviennent du livre Plant Systematics de M.G. Simpson et d’un grand nombre de notions apprises depuis la L1 ; il m’est donc difficile de faire un inventaire exhaustif de toutes les sources utilisées. Quelques données proviennent du livre Le génie des Végétaux de M. Bournérias et C. Bock, déjà utilisé dans d’autres articles. J’ai aussi utilisé l’article An update of the Angiosperm Phylogeny Group classification for the orders and families of flowering plants: APG III de Chase et al. ainsi évidemment que la grande ressource d’Internet pour les images.


lundi 7 mai 2012

La spéciation selon King Kong

Une fois n’est pas coutume, partons de science fiction pour aborder l’évolution. Comment expliquer de façon ludique le principe de la spéciation dite allopatrique ? Je vais prendre un cas très intriguant, connu sous le nom d’évolution insulaire. Un phénomène qui est à l’origine du nanisme et du gigantisme de certaines créatures des îles…

Vous avez sans doute déjà vu ces images. Une troupe d’américains débarque sur une île du nom lugubre de Skull Island  (l’île du crâne), où une créature y est vénérée comme un dieu. Une créature qui a toute l’apparence d’un gorille… hormis la taille ! Et pour cause, il est littéralement géant. Alors que tout un chacun est subjugué par le film, les scientifiques dans l’âme ne pourront s’empêcher de se poser la question fatidique : mais comment est-ce possible ? Est-ce crédible ? Comment un gorille géant peut-il exister ?


King Kong en version 1933 et 2005


Evidemment, le roi Kong appartient à la science-fiction, et je doute fort qu’un jour il soit découvert un singe de sa taille. Néanmoins, s’il devait y avoir une explication plausible à la présence de Kong sur cette île (une explication qui ne ferait intervenir ni gorille mutant, ni expériences  de clonage ayant mal tourné et encore moins des petits hommes verts), elle pourrait se formuler en deux mots : spéciation allopatrique (du grec « allo » = différent, et « patrida » = patrie). Le principe est tout simple. Deux populations (ou groupes d’individus) d’une espèce sont séparées géographiquement, et ne peuvent donc plus se reproduire entre elles. Chacune de ces deux populations va donc évoluer en prenant des chemins différents, si bien qu’au final, ces deux populations vont former deux espèces différentes. Les îles se prêtent particulièrement bien au principe de cette spéciation. D’ailleurs ce n’est pas pour rien qu’un des exemples les plus connus de Darwin, les pinsons, provienne d’une spéciation insulaire. Mais revenons à King Kong. Comment  diantre expliquer son existence ?

Localisation supposée de Skull Island (source)

Il y a plusieurs scénarios possibles, mais prenons le plus simple. Au départ, aucun singe géant sur aucune île. Mais une population de gorilles de taille tout à fait banale, et habitant encore plus banalement en Afrique, comme nos gorilles actuels. Cette population peut d’ailleurs ressembler fortement à nos gorilles actuels, même si elle est un peu plus vieille. Ce sont en fait leurs ancêtres. Et puis quelque part, plus à l’Est et à peu près à la même latitude, se trouve une île. Nos gorilles et l’île (Skull Island vous l’aurez deviné), sont séparés par un océan. Cet obstacle est infranchissable, sauf selon une probabilité tout juste suffisante à ce que quelques gorilles, un jour, le franchissent. Il peut s’agir par exemple de gorilles importés par les humains de l’île lors de leur arrivée par bateau. Toujours est-il qu’un jour, quelques gorilles d’Afrique sont parvenus sur cette île. Et qu’ont-ils fait alors ? Et bien comme tout le monde, en tentant de survivre, ils se sont adaptés aux conditions locales. Et leur taille a augmentée, au fil des générations. Il se peut que cela soit dû à une nourriture plus abondante, à des conditions météorologiques ou des pressions de prédation différentes… Et c’est ainsi qui naquit King Kong ! (d’ailleurs, si Kong semble le seul singe géant de l’île dans la dernière version cinématographique, sachez que le reste de la population est caché, puisqu’un film sorti en 1933 relate des aventures du fils de Kong !). Il est à noter que la petite taille de la population d’origine (une poignée d’individus) augmente la chance d’obtenir rapidement des changements assez impressionnants, même si ces changements ne sont pas adaptatifs, c'est-à-dire qu’ils n’augmentent pas forcement les chances de survie ou de reproduction des individus. Par exemple, s’il se trouve qu’un des individus qui arrivent sur l’île porte une mutation bizarre (concernant sa taille ou quoique ce soit d’autre), il risque de la répandre même si elle n’apporte aucun intérêt, tout simplement puisque cet individu sera à la racine de la nouvelle population qui va envahir l’île. On parle de goulot d’étranglement.

Les exemples de gigantisme ou de nanisme passionnent tant ils sont impressionnants. Je pourrais également vous citer les aventures de Gulliver et sa rencontre avec les Lilliputiens (des hommes minuscules), ou encore de leurs homologues géants et moins connus les Brobdingnagiens. Et puis les réalisateurs s’en donnent à cœur-joie pour créer des insectes gigantissimes ou des éléphants minuscules, comme dans la récente adaptation cinématographique du célèbre roman « L’île mystérieuse », de Jules Verne. Mais peut être que des exemples réels seraient plus parlants.

 
Les disproportions du film « Voyage au centre de la terre 2 » s’expliquent par l’évolution insulaire. Celle-là même qui a pu faire diminuer les Lilliputiens.

Et bien sachez que les éléphants de taille miniature ont bel et bien existé ! Ils peuplaient certaines îles méditerranéennes durant le Pléistocène et n’atteignaient pas un mètre de haut. Du côté des hommes aussi la fiction rejoint la réalité. L’homme de Florès, Homo floresiensis, habitant d’une île indonésienne il y a quelques dizaines de milliers d’années, mesurait également aux alentours d’un mètre de hauteur.  Si les îles sont des paradis de spéciation allopatrique, il convient également de prendre le terme d’île dans un sens plus large, c'est-à-dire tout environnement favorable à une espèce et séparé des autres environnements favorables par une barrière quelconque. Par exemple, pour une plante vivant exclusivement en altitude, chaque montagne est une île et chaque vallée joue le rôle d’un océan. Si l’on en revient aux hommes, le principe de nanisme insulaire peut alors expliquer la petite taille des populations pygmées, même si la spéciation (différenciation en deux espèces distinctes) ne s’est pas encore produite. Aucune île, mais un espace de vie séparé des autres hommes a permis cette évolution différente.

Reconstitution de l’éléphant nain de Sicile Elephas falconeri. Chaque île méditerranéenne abritait une espèce d’éléphant nain différente (source)
Reconstitution de deux cerfs nains du Pléistocène : Megaceros cretensis (à gauche), de l’île de Crête et Megaceros algarensis (au milieu) de Sardaigne, comparé à leur ancêtre continental présumé Megaceros verticornis (Benton et al. 2010)


Du côté des géants, nous pouvons trouver par exemple le rat de l’île Tenerife (qui fait partie des îles Canaries), éteint lui aussi, et qui devait atteindre un kilo. Ou tout simplement des tortues géantes qui peuplent plusieurs îles.

Enfin pour finir, sachez que la spéciation allopatrique est un phénomène très important dans la création de nouvelles espèces, mais que d’autres types de spéciation existent. Peut-être que l’exemple de Godzilla servira à les expliquer dans un prochain article !



Bibliographie


Benton, M. J., Csiki, Z., Grigorescu, D., Redelstorff, R., Sander, P. M., Stein, K., & Weishampel, D. B. 2010. Dinosaurs and the island rule : The dwarfed dinosaurs from Haţeg Island. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, 293, 438-454.

Poulakakis, N., Mylonas, M., Lymberakis, P. & Fassoulas, C. 2002. Origin and taxonomy of the fossil elephants of the island of Crete (Greece): problems and perspectives. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, 186, 163-183.

Van Heteren, A. H. 2012. The hominins of Flores: Insular adaptations of the lower body. Comptes Rendus Palevol, 11, 169-179.

Sophie
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